Habillant deux façades du numéro 5 de la rue du Marais, cette peinture murale de Peeta est une anamorphose, c’est-à-dire une image déformée conçue pour être vue depuis un angle précis. Indiqué par un cercle jaune tracé à même le sol, l’endroit idéal pour admirer cette œuvre se trouve à une cinquantaine de mètres de l’immeuble, devant le numéro 66 de la rue Girardet. Depuis ce point de vue, l’illusion d’optique est parfaite et les formes peintes par l’artiste surgissent des murs. Les fenêtres deviennent les pans de parallélipipèdes suspendus dans le vide. L’illusion de se trouver face à des formes tridimensionnelles est particulièrement bluffante lorsque l’intensité lumineuse est sensiblement la même sur les deux façades, au moment où le soleil est au sud-ouest du bâtiment (vers 13 heures en été), ou quand le ciel est nuageux et que la lumière du soleil est diffuse. Alors, l’angle nord-est de l’immeuble disparaît comme par magie.

Pour créer des anamorphoses parfaites, Peeta recourt à la photogrammétrie. La photogrammétrie est une technique de numérisation du réel. Cela consiste à créer des modélisations tridimensionnelles d’objets physiques à partir de simples photographies de ces mêmes objets. Ainsi, dans le cadre de la création de cette fresque, Peeta est venu une première fois au Locle pour prendre de nombreuses photos de l’immeuble, depuis différents points de vue. Ensuite, de retour dans son atelier de Campolongo Maggiore, près de Venise, il a importé ces photos dans un logiciel de photogrammétrie qui, grâce à des algorithmes complexes, a combiné toutes ces photos afin de calculer les dimensions de l’immeuble et produire un modèle tridimensionnel (en 3D).

Pour simuler de manière réaliste des formes en 3D, rien de tel que des dégradés de couleurs. Plutôt que d’utiliser des pinceaux, la manière la plus simple et la plus rapide de peindre de gigantesques dégradés est de pulvériser de la peinture sur les façades. Pour ce faire, l’artiste est armé d’une vingtaine de pistolets, dotés chacun d’un réservoir contenant un litre d’une couleur bien précise. Ce procédé est plus rapide, plus économique et écologique que d’utiliser des bombes de spray.

Grâce à son immense talent et une bonne dose d’huile de coude, Peeta a réussi à transformer cet immeuble sans qualités architecturales particulières en une œuvre d’art exceptionnelle. À elle seule, cette réalisation monumentale résume à quel point l’exomusée a modifié la perception que les gens ont de la Mère commune des Montagnes neuchâteloises. Car en dépit de ses nombreuses qualités et malgré le fait qu’elle soit inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO pour son patrimoine architectural, issu de l’industrie horlogère, cette charmante petite ville était souvent dépeinte comme une cité peu attractive. Depuis qu’elle est devenue un haut lieu de l’art urbain, ces critiques sans fondement se sont taries. Évidemment, on ne mesure pas l’attractivité d’une ville à l’aune d’une attraction touristique. Mais les nombreuses retombées médiatiques élogieuses contribuent à redorer le blason de la ville. Et il est vrai que chaque année des milliers de touristes repartent du Locle avec des étoiles dans les yeux après avoir visité l’exomusée (ainsi que les 3 autres institutions muséales que compte la ville). Certains visiteurs nous ont confié qu’après avoir visité l’exomusée, ils ne verraient plus jamais Le Locle de la même manière. Cela ravit bien sûr Peeta, dont le travail consiste à interroger notre manière d’appréhender la réalité.